« Faites-moi deux prix : l’un avec un chauffeur français, l’autre avec un routier étranger ». Cette demande de tarification pour un camion de 90 m3 dédié en dur, non bâché, avec hayon, entre Saint-Ouen l’Aumône et Lisbonne (J + 1 matin), est arrivée dans la boîte mail d’un transporteur, surpris puis scandalisé par cette forme de cynisme. Faudra-t-il pourtant qu’il se fasse une raison ? Ce type de pression est de moins en moins marginal. Il met simplement en concurrence un tarif avec « salaire chargé » et un autre dénué de charges dans cette Europe de la libre circulation des biens et des personnes. C’est cette évidence qui a justifié les initiatives allemandes et françaises, en 2015 et 2016, d’appliquer un SMIC horaire national aux conducteurs étrangers (8,50 € de l’heure en Allemagne et 9,76 € en France), des routiers de l’Est qui font, dans le cadre légal du cabotage, du transport national à ce point régulier qu’il est… quasi permanent ! C’est ce constat qui explique la création, fin janvier, de l’Alliance du routier ayant pour visée de garantir une meilleure harmonisation sociale européenne. Mais pour louables qu’elles soient, ces initiatives ne partent pas gagnantes. Il y a d’abord la réalité politique européenne des 28 pays, et cette facture qui commence à naître entre l’Ouest et l’Est du continent. La Pologne a pris la tête de la contestation, sermonnant Violeta Bulc, la chahutée commissaire européenne aux Transports. Il sera difficile d’échapper au bras de fer. Il est vrai que le salaire minimum en Pologne atteint les 467 € (2000 zlotys) et pour les travailleurs indépendants plafonne à 2,80 € de l’heure ! Il y a ensuite la réalité du terrain. Appliquer le SMIC du pays d’accueil, pourquoi pas : mais comment le vérifier en pratique ? Le cabotage n’est déjà pas contrôlé, faute d’effectifs, de disponibilité, voire de compétences. Il y a, enfin, une réalité économique. Les pratiques à bas coûts qui se développent dans le transport routier ne sont pas le seul fait d’opérateurs peu scrupuleux ou de conducteurs filous. Des chargeurs et donneurs d’ordre y trouvent aussi leur compte, quand ils ne sont pas eux-mêmes à l’origine des stratagèmes pour contourner la réglementation. Il est bon de rappeler que la responsabilité du donneur d’ordre n’est pas une vue de l’esprit mais un vrai texte de loi.
Éditorial