Les défaillances ont atteint un niveau record dans le secteur depuis plus d’un an. Commencez-vous à percevoir une sortie de crise ?
En matière de conjoncture, tous les signaux sont au rouge. Même si cela semble s’éclaircir ces derniers mois, la situation reste très compliquée. Les entreprises du secteur sont en souffrance avec une activité atone et des coûts qui ont fortement progressé ces dernières années. Certaines entreprises n’ont pas été en mesure de répercuter la totalité de ces surcoûts à leurs clients et, avec des volumes à transporter qui baissent assez fortement, les marges s’amenuisent. Cela se traduit par des défaillances pour les plus fragiles et un gel des investissements pour les autres. Cette situation se voit d’ailleurs aussi avec les immatriculations de véhicules neufs de plus de 5 tonnes, en recul de près de 20% sur les 5 premiers mois de l’année selon l’Observatoire des Véhicules Industriels. Les défaillances dans le secteur ont explosé en 2024, en hausse de 39% par rapport à 2023, avec quasiment 70% de liquidations directes. Sur le début 2025, on a encore une légère régression par rapport à l’année dernière. L’heure est assez grave pour les entreprises du TRM, même si on peut espérer que l’on a peut-être passé le pic le plus bas avec une tendance qui s’améliore un peu sur le deuxième trimestre. On essaie de positiver ; d’ailleurs le thème du Congrès de la FNTR qui se tiendra le 8 octobre est « rebondir ».
Que retenez-vous de la Conférence Ambition France Transports ? Quels seront les points de vigilance pour la FNTR ?
Le mérite est déjà d’avoir réussi à rassembler autant d’interlocuteurs, d’organisations et d’avoir pu être écoutés. Toutefois, pendant la conférence et lors de sa clôture, nous avons alerté sur les lignes rouges quant à la hausse de la fiscalité pour le secteur à travers des communications communes avec les autres fédérations. En effet, dans cette conjoncture compliquée, le TRM n’est pas en capacité de supporter de nouvelles charges fiscales, que ce soit le rabot sur la ristourne TICPE, l’écotaxe régionale, voire nationale. Elle s’appliquera en Alsace en janvier 2027, le Grand Est se dit intéressé puis l’ensemble des régions seront certainement attentives à ce qu’il se passera. Nous restons donc vigilants sur ce point. Nous sommes en discussions pour éviter ces hausses de taxe ou, au moins, pour pouvoir les répercuter. Les marges des entreprises du TRM sont telles que tout surcoût aura des conséquences très importantes sur l’avenir des sociétés de transport. Des recettes de quelques milliards d’euros sont évoquées ne serait-ce qu’avec la renégociation des contrats d’autoroutes. Si on arrivait à bien les affecter au financement des infrastructures, ce serait déjà une avancée. Mais il faudra voir si ces pistes seront reprises dans le projet de loi. On est dans une situation politique instable donc nous attendons de voir ce qui se passera à la rentrée.
L’électrique reste l’énergie la plus poussée par le Gouvernement et l’Europe. Un rapport de la Direction générale des entreprises (DGE) paru début juillet promeut d’ailleurs exclusivement l’électricité comme solution vertueuse pour le TRM et écarte les biocarburants. Quel est votre point de vue sur le sujet ?
Les transporteurs sont déjà engagés dans la transition énergétique et la décarbonation. Ils n’ont pas attendu l’électrique pour le faire. On est donc vent debout contre ce rapport qui soutient qu’il n’y a que l’électrique qui permettrait de décarboner les transports routiers. On souhaiterait une neutralité technologique et qu’on ne nous impose pas une seule solution. Ce rapport sortant juste avant les premières annonces sur le PLF, il ne faudrait pas qu’il en soit tiré la conclusion d’augmenter les taxes sur les autres carburants alternatifs pour favoriser l’électrique. Beaucoup de transporteurs utilisent déjà des énergies décarbonées comme le bioGNV, les carburants liquides bas carbone – HVO et B100. Ils ont fait des investissements et changer les règles du jeu ne me semble pas très juste. Aujourd’hui, l’électrique ne concerne qu’1% des achats de poids lourds. On ne peut pas basculer brutalement vers le tout électrique, surtout dans une période financière compliquée. Il est important de pas opposer les énergies qui sont finalement complémentaires. Il existe plusieurs possibilités adaptées aux différents cas d’usage.
Le tout électrique n’est donc pas plausible selon vous ?
Il n’est pas adapté à tous les usages. Cette énergie est une bonne solution pour la logistique urbaine. Mais, sur les poids lourds de moyenne et longue distance, ce n’est pas encore suffisamment mature, notamment au niveau du déploiement des systèmes de recharge. Par ailleurs, le coût d’un véhicule électrique est encore beaucoup plus important qu’un véhicule diesel, même si l’on peut saluer les aides déployées via les certificats d’économie d’énergie, plus accessibles que les appels à projet. Il faut aussi prendre en compte les autres investissements qu’implique cette énergie, comme les bornes de recharge sur site. Par exemple, dans mon entreprise, le Groupe Samat, les tracteurs électriques ADR, c’est-à-dire compatibles matières dangereuses, sont possibles dans la réglementation mais je ne parviens pas à en obtenir un, ne serait-ce que pour le tester. Et des difficultés similaires se posent dans d’autres métiers, notamment à cause du poids, car il faut compter 4 tonnes supplémentaires pour les batteries. Il faudra, d’ailleurs, adapter les poids et dimensions pour les véhicules électriques. Il y a encore beaucoup de choses à faire avant de pouvoir dire que tout est prêt pour l’électrique.
Le 44t sera bientôt autorisé en Espagne, comme dans de nombreux pays européens, mais le passage transfrontalier de ces véhicules reste interdit. Comment influez-vous pour faire évoluer la directive européenne ?
C’est une absurdité réglementaire qui peut se régler relativement facilement à condition que tous les membres soient d’accord. Cela fait partie des points que l’on pousse en Europe. Le 44t transfrontalier est important pour tous les États membres qui l’autorisent déjà pour leur transport domestique car il permettrait de gagner en productivité et aussi finalement en décarbonation. On a écrit une lettre ouverte sur la révision de la directive sur les poids et dimension pour rappeler ce point mais aussi le sujet des EMS. J’ai d’ailleurs fait une intervention sur les écocombis auprès du groupe Avenir Transport au Sénat pour expliquer et dédiaboliser ce dossier : il ne faut pas imaginer que ces camions arriveront sur les ronds-points et dans les petits villages, mais au contraire sur des itinéraires adaptés, avec des autorisations spécifiques préalables. Et nous ne serions pas en concurrence avec le rail mais complémentaires. On demande surtout que l’on nous laisse faire un test en condition réelle en France, sur la route et non sur piste. On a un peu de mal à se faire entendre mais on ne va pas lâcher. Ça existe notamment en Espagne et ça fonctionne bien, avec des autorisations spécifiques sur des itinéraires définis.
Quelles sont les prochaines échéances concernant les dossiers sociaux ?
Le volet social est toujours très important et occupe beaucoup les équipes de la FNTR, notamment pour les NAO chaque année. Les prochaines discussions devraient s’ouvrir à la rentrée pour 2026. Après trois années de revalorisation assez forte, avec +5,4% au 1er décembre 2023, il n’y a pas eu d’augmentation en 2024. Cela s’est fait dans l’écoute même si les organisations syndicales auraient préféré avoir une hausse mais elles ont bien vu les difficultés rencontrées par les transporteurs. La FNTR travaille aussi beaucoup sur la formation, notamment au niveau européen sur une révision de la directive formation. L’interdiction de chargement-déchargement par les conducteurs est aussi un dossier que nous suivons puisque nous sommes favorables à essayer de trouver un accord. Les conducteurs sont un maillon essentiel et il est aussi important qu’ils soient bien reçus sur les sites lorsqu’ils arrivent. C’est un facteur d’attractivité pour le secteur.
Vous avez pris la présidence de la FNTR en novembre 2024. Quelle est la feuille de route de la FNTR pour les prochaines années ?
La FNTR est la première organisation patronale en termes de représentativité dans la branche. C’est une fédération présente dans toute la France avec une trentaine de bureaux sur le territoire et aussi à Bruxelles depuis plus de 25 ans, ce qui est très important puisque beaucoup de projets de textes viennent de l’Europe avant d’être transposés en France. Il faut donc être en amont sur ces sujets. Nous allons poursuivre et renforcer cette influence, tant au niveau européen, que national et régional, dans toutes ses branches pour accompagner une profession qui se transforme, se décarbone, se digitalise et qui demeure un acteur majeur de la souveraineté économique. Il n’y aura pas d’industrie, de dynamisme économique ni de bassin d’emploi sans transport. Nous devons peser dans les débats et valoriser la profession qui ne bénéficie pas de l’image qu’elle devrait avoir compte tenu de son importance. Les transporteurs sont indispensables au fonctionnement économique du pays, sachant que 89% des marchandises sont transportées par la route en France. C’est une grande responsabilité pour moi d’être présidente de la FNTR, probablement au pire moment par rapport à la conjoncture mais on ne lâchera rien pour porter et défendre la voix des transporteurs. Il est important que le secteur puisse faire face aux nombreux défis qui se présentent. Notre priorité est la proximité, le terrain, pour être proche de nos adhérents. Composés de TPE, PME, de grands groupes, ils sont notre force et nous permettent d’avoir un large spectre.
Dates clés
Depuis 2024 : Présidente de la FNTR
Depuis 2002 : PDG du Groupe Samat
Depuis 2008 : Présidente de l’ATMD (Association française de Transports de Matières Dangereuses)